Real Madrid : Les raisons d’une déroute
Une élimination ne souffre généralement d’aucune contestation possible. Celle du Real Madrid en Ligue des Champions non plus. Le football en a décidé ainsi et la Juventus a pleinement mérité sa qualification face à un effectif que l’on estime largement supérieur. Le paradoxe est toutefois présent. Comment la machine madrilène a-t-elle bien pu se gripper aussi soudainement, à la mi-saison, au sortir d’un exercice pleinement réussi et d’une série historique de victoires consécutives ? Les éléments de réponse sont nombreux, et s’il est possible d’invoquer les blessures, il serait également intéressant d’observer les changements d’état d’esprit au sein de l’effectif, ce que nous vous proposons dans la suite de cet article.
D’un élan victorieux à un engluement tenace. Les recrues sont-elles un motif de déception ? Absolument pas. Cet effectif est taillé pour aller au bout, mais l’ensemble de ses lacunes a violemment resurgi lors des deux demi-finales, des rencontres qui nous serviront de point d’appui pour expliquer cette déroute, tant l’illustration est frappante. Lorsque qu’une dynamique s’installe, on ne peut en être que protagoniste ou bien se mettre à l’écart. On parle ici d’attitude sur le terrain, mais également en dehors. Les récentes déclarations de l’agent de Gareth Bale, déplorant que son poulain ne soit pas considéré à sa juste valeur par l’ensemble du club, en attestent.
Carlo Ancelotti s’était montré clair à son arrivée à Madrid, déclarant que « cet effectif est le meilleur qu’il a jamais possédé« . Une aubaine pour un coach qui, lors de sa première année, a de façon plus que visible laissé les choses se dérouler naturellement. Certes, le coach parle, le coach dirige, mais ce Real Madrid était déjà, à l’époque, parmi les plus expérimentés en coupe d’Europe. Le constat inévitable qui se dresse devant nous, c’est qu’en un an, Ancelotti a eu le temps de se créer des préférences et d’appliquer ses idées avec toujours plus de conviction. Divers essais ont été observés cette saison, comme le replacement de Sergio Ramos au milieu de terrain à deux reprises dont nous reparlerons ensuite. La première fois, cela semblait convaincant. La seconde, le mauvais choix s’est fait sentir de manière criante.
Ainsi, le Mister n’a jamais caché son admiration pour le rendement offensif de Cristiano Ronaldo. Un joueur qui aura fait la joie de tous ceux qui l’auront entraîné, mais à qui Ancelotti a insufflé un excès de confiance évident. Les caprices sont apparus, et l’effectif semblait adhérer à cette idée, selon laquelle « Cristiano est le seul crack ici« , comme le déclarait il y a quelques saisons à peine le même Sergio Ramos. Des caprices auxquels ses coéquipiers semblent s’être soumis, saison après saison, jusqu’à faire resurgir les facettes négatives du portugais. Cette saison, le contraste est incontestable. Agacé lorsqu’il ne marque pas, celui qui dépassera bientôt Raul dans la liste des meilleurs buteurs de l’histoire du club l’est aussi lorsque ses coéquipiers marquent au terme d’actions qu’il aurait pu conclure. Mental de vainqueur ? Pas exactement. Cette attitude est celle qui fait sa force et sa faiblesse. Celle d’un joueur gâté, tellement sûr de lui que son attitude transpire sur le reste de l’effectif.
Cet excès de confiance, on pourrait penser qu’on ne fait que le déduire d’une attitude peu combative lors du match retour face à la Vieille Dame. Toutefois, les conférences de presse ne trompent pas. Pas inquiet après la défaite de l’aller au Juventus Stadium, Ancelotti était même confiant juste avant le match retour. Il n’y a pas de mal à être confiant, direz-vous, mais les copies rendues lors de cette double confrontation n’ont fait que démontrer à quel point cette confiance était mal placée. Une qualité technique à toute épreuve, bafouée par un manque d’engagement criant et une suffisance, une fois de plus évidente. Symbole de cette soirée : un joueur ayant quitté le club cet été, dans la volonté de grandir et se parfaire, Alvaro Morata. Une volonté qui ne semble pas être celle de l’ensemble des joueurs actuellement présents à Santiago Bernabeu. Un signe que des professionnels se doivent d’interpréter à sa juste valeur.
Ego, orgueil, grosse tête, des termes qui, à juste ou injuste titre, reviennent de façon récurrente lorsqu’il s’agit de qualifier cette équipe et ses individualités. Isco affichait dernièrement son mal-être, confrontant son entraîneur quant à son temps de jeu. Réponse cinglante du coach madrilène : Isco se verrait un peu meilleur qu’il ne l’est vraiment pour l’instant. Les reproches ont fusé et les résultats n’ont pas suivi. Une certaine propension à ne pas étouffer ces affaires et à laisser dire beaucoup de choses auront contribué à cet état d’esprit médiocre, tant dans le jeu que dans la communication.
Les absences auront également pesé, surtout celle de Luka Modric, qui a su se révéler d’autant plus indispensable lorsqu’il n’était pas là. Une incompréhension, lorsque l’on voit la richesse de cet effectif. Ce n’est pas l’absence du croate qui a appesanti les jambes lors des demi-finales. La stérilité, l’absence de solutions, ne découlent pas d’un maniement approximatif du ballon. L’entêtement est bel et bien le seul responsable, ne laissant guère la place à la flexibilité tactique observée la saison dernière. Le Real Madrid aura besoin d’intenses discussions en interne afin de retrouver un état d’esprit conquérant la saison prochaine. Le danger, toutefois, demeure celui de la révolution. On sait à quel point l’homme fort de la maison, Florentino Perez, est susceptible lorsqu’il s’agit de saison blanche sur le continent européen, mais cet effectif n’a besoin que de quelques retouches, et d’un peu de confiance.
Car non, Cristiano Ronaldo n’est pas le seul talent de cet effectif, loin s’en faut, et il convient d’observer que ceux qui ont osé cette saison, ont réussi. En témoignent Kroos, James, Benzema, tous auteurs d’une saison plus que décente car pas encore atteints par cette paralysie ou jouissant d’un statut privilégié auprès de la superstar portugaise. Ronaldo est le principal pourvoyeur de buts du Real Madrid et l’équipe lui doit beaucoup en termes de résultats, d’efficacité, mais il n’est pas nouveau de dire qu’il vampirise les actions. Cela pourrait s’arrêter là, sur le terrain, où le personnage est capricieux, mais les interactions ne se terminent pas au coup de sifflet final, et il est désormais évident que le Ballon d’Or 2014 est autant un problème qu’une solution au sein du vestiaire.
Un joueur qui quelle que soit sa qualité, va devoir rentrer dans le rang. Un rang que le coach devra maintenir uniforme et discipliné, et qu’il devra laisser s’exprimer sur le terrain. Est-il logique d’introniser un défenseur central au milieu de terrain lors de confrontations décisives de Ligue des Champions ? Si cela fonctionne, le monde du football hurle au génie, mais cela n’a pas fonctionné, et on se demande, bien qu’un peu tendre, à quoi sert un Asier Illaramendi, spécialiste du poste. On se demande également comment un champion du monde en titre peut sembler ne pas faire partie de cet effectif. Sami Khedira ne serait donc plus footballeur ? L’obstination est celle d’Ancelotti, et si le coach italien est confirmé pour la saison prochaine, il devra mettre un peu d’eau dans son vin blanc…