L’Allemagne, ou l’expérience triomphante
En enterrant le Brésil comme jamais il ne l’avait été dans l’ère moderne, l’Allemagne a mis en lumière le contraste entre son excellent jeu collectif et celui de la Seleção, dont les lacunes avaient déjà été aperçues au premier tour. Mais au-delà du niveau de jeu de la Mannschaft, le piètre match nul entre les Pays-Bas et l’Argentine a aussi révélé – ou confirmé ? – que l’Allemagne était la seule équipe expérimentée du dernier carré. Analyse.
Commençons d’abord par observer les statistiques. À première vue, l’équipe nationale allemande semble la moins expérimentée de toutes les équipes du dernier carré (Allemagne, Pays-Bas, Brésil, Argentine), puisqu’elle est la 6ème équipe la plus jeune du tournoi avec une moyenne d’âge de 26,3 ans. Les joueurs néerlandais sont à peine plus vieux: 26,5 ans de moyenne. En revanche, la différence de moyenne d’âge avec les Brésiliens ou les Argentins (respectivement 28,4 et 29 ans), les plus âgés de cette Coupe du Monde, est flagrante. Cependant, n’oublions pas qu’un grand nombre de joueurs allemands sont titulaires dans les plus grandes équipes européennes: Neuer, Müller, Lahm et Boateng au Bayern Münich; Hummels à Dortmund; Özil à Arsenal… Ainsi, l’effectif allemand compense sa faible moyenne d’âge par son expérience acquise dans les plus grands clubs. Et c’est ce que l’on a vu lors de ces demi-finales jouées mardi et mercredi soirs.
Ne pas être inhibé par l’enjeu
Habitués à jouer de grandes compétitions, où les matchs à enjeu foisonnent, les Allemands ont fait preuve d’une grande maturité au moment d’affronter le Brésil. L’Allemagne est la seule équipe à ne pas avoir bridé son jeu, par peur d’encaisser un but potentiellement éliminatoire. Le contraste avec le Brésil est évidemment saisissant. En effet, la Seleção, de son côté, se fourvoya toute seule en se mettant une pression inutile. L’enjeu de cette demi-finale, à savoir un accès à une finale pour une sixième étoile, a complètement crispé les joueurs. Ainsi, pourtant bien partis, les Brésiliens ne surent jamais réagir aux attaques foudroyantes des Allemands. Après chaque but, ils étaient hagards, désemparés par une pression excessive, que le psychodrame autour de l’absence de Neymar avait encore renforcé. Le Brésil sombra ainsi totalement et le paya très cher: en une demi-heure, l’affaire était réglée face à une équipe décomplexée, comme depuis le début du Mondial.
Alors certes, on peut considérer que le cas du Brésil est particulier. La victoire était en effet la seule issue possible de cette Coupe du Monde organisée à domicile, d’où l’incroyable pression subie par les joueurs, sans Neymar ni (surtout) Thiago Silva. Mais en observant la prestation de mercredi soir des Pays-Bas ou celle de l’Argentine, deux équipes sans pression supplémentaire, on remarque également que ces deux équipes furent inhibées par l’enjeu, donnant lieu à peut-être la pire rencontre de toute cette Coupe du Monde. Par peur de faire l’erreur fatale, les attaques étaient fébriles, timides et se sont finalement désarmées face à des défenses bien en place. On peut même se demander si les Pays-Bas ou l’Argentine auraient battu le Brésil, tant leur performance fut quelconque à São Paulo. L’Allemagne a donc été la seule à savoir gérer la pression d’une demi-finale.
Maintenir la discipline défensive en toutes circonstances
Il est vrai que l’Allemagne est loin d’être la seule équipe à avoir démontré ses qualités défensives. On pense notamment aux remarquables prestations des défenses costaricienne (un seul but encaissé en cinq matchs), belge (deux buts encaissés en cinq matchs) ou colombienne (quatre buts encaissés en cinq matchs). Mais ce qui est ici à souligner est que la Mannschaft est toujours impressionnante en défense, quel que soit le score. La rigueur est une grande qualité allemande: même lorsque le Brésil était mené par 0-5, il n’arrivait pas à marquer. Certes, l’Allemagne fut également sauvée par son gardien, Manuel Neuer, qui réalise une Coupe du Monde exceptionnelle. Mais tout de même, la troupe de Joachim Löw montre qu’elle est expérimentée en ne se déconcentrant pas. D’ailleurs, c’est assurément ce qui a permis à l’Allemagne d’éliminer la France et de passer en demi-finales. En revanche, l’absence de buts dans la rencontre Pays-Bas – Argentine est un leurre: peu de joueurs étaient assez inspirés pour construire le jeu de part et d’autre du terrain, donnant à tort l’impression que les défenses étaient bétonnées. De plus, la situation était totalement différente de celle de l’Allemagne, puisqu’aucune équipe ne menait. Je passe l’analyse de la défense brésilienne, tant celle-ci fut catastrophique.
Faire prévaloir le professionnalisme sur la pitié
Enfin, le professionnalisme est le dernier aspect qui démontre l’expérience de l’Allemagne. Les joueurs allemands ne laissent aucune chance à leur adversaire, et le score historique de Brésil – Allemagne l’atteste. Au lieu de s’arrêter à une avance de trois buts, ils ont enfoncé les hôtes en continuant à marquer. De plus, à la mi-temps, les coéquipiers de Thomas Müller ne sont pas tombés dans une euphorie qui aurait pu les sortir de leur match. D’après Joachim Löw, le vestiaire était particulièrement calme, malgré le score. Cette lucidité, ce professionnalisme dénote une très bonne gestion de la rencontre, qui elle-même n’est permise que par une grande expérience.
Ainsi, l’Allemagne semble être l’équipe la plus expérimentée de ce tournoi, et, en comptant la qualité de son effectif, il n’est pas étonnant de la voir en finale.