Billet d’humeur : De l’art d’exagérer
Les fans de football sont toujours absolus. Mais aucun sport n’obéit à des règles si fermées, si étroites, qu’à les suivre le football en risquerait sa peau. Tifosi, aficionados, supporteurs, supporters, apprenons ensemble à n’exagérer qu’en cas de nécessité : « chambrage » oblige.
On ne peut concevoir le football sans le brin (ou le tronc d’arbre) de moquerie qui lui est irrémédiablement associé. Toutefois, les amateurs de ballon rond conservent une tendance extravagante au pronostic, à l’analyse, au « ôte toi de là, que je m’y mette ». Nous nous intéresserons aujourd’hui à cette légende qui veut que les coachs décident d’un résultat. Certes, le génie tactique d’un entraîneur ou d’un sélectionneur peut incontestablement influer sur un résultat, mais il relève de la science fiction de considérer l’échec d’un collectif comme celui de l’entraîneur. De même que dans certaines circonstances, la réussite d’un coach se doit d’être accompagnée d’un esprit critique aiguisé.
Voyons plutôt ce que cela peut donner à force d’exemples (qui ne sont l’apanage ni des faibles, ni des puissants) : nous revenions cette semaine sur la saison des principaux clubs français, dont l’OM, dont nous soulignons l’apport incontestable de la méthode Bielsa. Un positionnement final décevant, mais la plupart des supporters marseillais diront qu’ils ont enfin vu le saut qualitatif qu’ils espéraient depuis bien longtemps. Un manager comme celui-ci peut transformer une équipe terne en diable de combinaisons, d’échanges et de tentatives.
Si cet exemple corrobore le mythe selon lequel l’entraîneur est au centre de l’évolution des résultats, certaines conditions précises, une fois réunies, ne laissent que très peu de place à l’échec.
Nous nous attarderons sur deux formations, sans doute les plus en vue ces 6 dernières années : le Real Madrid et le FC Barcelone. Souvenons-nous de la lutte qui opposa Guardiola à Pellegrini, puis à Mourinho. le défunt Tito Vilanova au même Mourinho, puis Tata Martino et Luis Enrique à Carlo Ancelotti. Autant de noms d’entraîneurs considérés comme parmi les plus grands, les plus expérimentés ou les plus prometteurs vis à vis desquels il convient de prendre un minimum de recul. Ces professionnels n’ont plus de preuves à faire. Et pourtant.
Guardiola hérite incontestablement d’une génération merveilleuse, de joueurs professionnels consciencieux, méticuleux, passionnés. Les hommes se connaissent pour certains depuis le plus jeune âge, et une pluie de titres s’abat sur le Nou Camp durant le mandat de Pep. Porté au rang d’entraîneur miracle, celui-ci filera entraîner l’une des trois autres équipes les plus musclées du moment : le Bayern. Ou comment passer d’un groupe qui sait s’auto-gérer à un autre. Cette idée, remarque, contestation, appelons-la comme bon nous semble, n’est apparue que très rarement dans les analyses émises depuis. Quid du fait qu’une telle équipe n’aie pas tellement besoin d’un suivi tactique, d’un commandant en chef, comme le feraient des enfants ? L’équipe n’a pas sombré sous les mandats de Vilanova ou Martino. Des résultats fous, moins de titres, mais un football parmi les meilleurs d’Europe et une période de creux l’année passée qui correspond à la baisse de régime de tout un collectif, quadruple ballon d’or compris. Le tout juste avant une coupe du monde. Coïncidence ? Probablement pas. Luis Enrique a pris en main, cette saison, un collectif blaugrana gonflé à bloc, fort de recrues qui n’ont rien de joueurs ayant besoin de cours de football (Rakitic, Suarez).
La donne n’est pas différente concernant le Real de Mourinho ou d’Ancelotti. Si les madrilènes ont repris du poil de la bête sur le continent européen lors du passage du technicien portugais, enchaînant les demi-finales perdues, le mandat du « Mou » n’aura pas été son plus abouti. La faute à une méthode qui peut avoir du mal à passer auprès de joueurs qui considèrent savoir quoi faire. Mourinho le disait, en guise de pique destinée à Cristiano Ronaldo : « il considère qu’il n’a plus rien à apprendre ». Ce que les médias transforment en arrogance peut toutefois se révéler être une vérité des plus intouchables. Même constat lors des deux saisons de Carlo Ancelotti à la tête du collectif merengue. Une première saison timorée, durant laquelle le technicien Italien laissera évoluer ses joueurs dans un schéma libre, générant une flexibilité tactique certaine et accouchant de la surconvoitée Decima, et un deuxième mandat durant lequel il impose sa griffe. On connait le résultat.
Cet article ne vise pas à dénoncer un éventuel problème de côte exagérée chez les entraîneurs, mais bien de foi démesurée placée en eux. Certains groupes composés de Xavi, Iniesta, Messi, Pique, Ribéry, Neuer, Lahm, Alonso, Casillas, Ronaldo, Modric, Sergio Ramos (pour ne citer que ceux-là), savent sans doute ce qu’il leur reste à faire lorsqu’ils entrent sur le terrain. La préparation tactique à un adversaire particulier, le visionnage, et les séances d’entraînement appropriées sont des méthodes que pratiquent tous les coach qui ont fait du football leur métier. Ainsi, il convient de souligner que bon nombre d’entraîneurs semblent tirer leur épingle du jeu de cette façon. Luis Enrique devra confirmer sur la durée, Ligue des Champions à la clé ou non. Et Benitez, que l’on annonce comme un flop anticipé, pourrait surprendre son monde en laissant quelques libertés relatives exigées par son effectif. Il est évident que certaines formations doivent énormément à l’apport d’un coach charismatique, sachant instaurer un fond de jeu. Bielsa, Simeone, Emery, tous sorciers dans l’âme. Toutefois, ce n’est pas le cas de toutes les équipes, et encore moins des deux géants espagnols.
Car ce que des Guardiola, Luis Enrique ou Ancelotti semblent avoir compris, c’est qu’on ne rend pas l’or plus précieux qu’il ne l’est, on ne peut que le façonner, le polir. Une de ces méthodes reste la compréhension, la psychologie. L’écoute. Et quand ces caractéristiques s’estompent, la confiance avec. Arrivent alors les crises en interne, les problèmes d’ego. Les résultats ne sauraient suivre. L’hégémonie qu’exerce par exemple le club catalan sur le football européen ces dernières années est le fruit d’une continuité certaine, qui fut permise par un effectif conscient de son devoir, solidaire et voué à la transmission de ses idéaux. Une méthode qui porterait ses fruits dans tout collectif formé sur la base d’extraterrestres du ballon rond, comme peuvent le sont les catalans, les bavarois, ou les madrilènes. Il suffit de voir, par exemple, le succès qu’a rencontré cette saison un José Mourinho ayant récupéré une équipe un cran en deçà niveau talent, mais réceptive à son message. Une saison de qualité à Chelsea, et des attentes croissantes en Ligue des Champions. Toutes les chaussures ne nous vont pas. Si la tendance à sanctifier les entraîneurs est parfois justifiée, elle est souvent exagérée. Les gesticulations d’un banc de touche ne pousseront jamais la balle au fond des filets.